lundi 10 septembre 2012

Combien un accord Rubik pourrait-il rapporter à la Belgique ?

Évoqué depuis plusieurs mois en coulisses, dans les milieux de la gestion de fortune, le dossier Rubik a fait irruption dans le débat public belge la semaine dernière. De retour de Suisse, où il a multiplié les contacts, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, a appelé le parlement à s'emparer d'un dossier qui suscite la polémique ailleurs en Europe.
De quoi s'agit-il ? Comme je l'ai expliqué sur ce blog il y a quelques mois (ici), Rubik est une stratégie mise en place conjointement par le gouvernement et les banques suisses pour préserver le secret bancaire tout en améliorant la réputation d'un pays qui ne veut plus être considéré comme un paradis fiscal. Difficile équation, qui ne pouvait déboucher que sur une stratégie ambiguë. Dans tous les pays européens tentés par l'offre suisse, les débats font rage entre les partisans d'un compromis présenté comme réaliste et ceux pour qui il est totalement insuffisant.
Concrètement, la Suisse propose un accord articulé sur deux axes principaux:
  • pour le passé, à titre de régularisation: un prélèvement forfaitaire (à des taux variant entre 15 et 34% selon le cas) sur les avoirs des résidents placés dans les banques suisses
  • pour l'avenir: un prélèvement d'un pourcentage (entre 25% et 40%) sur les revenus générés annuellement par ces capitaux.
Les trois pays qui ont conclu un tel accord jusqu'ici ont obtenu des conditions légèrement différentes entre eux, comme le montre ce tableau publié par les autorités suisses. Et derrière les taux, les recettes sonnantes et trébuchantes restent incertaines. Ni les Allemands et ni les Britanniques ne savent très bien s'ils doivent ratifier le compromis. La France avait quant à elle refusé purement et simplement d'engager des négociations (ici).

Et en Belgique ?

Avant même le lancement de négociations avec la Suisse, le projet provoque la polémique en Belgique aussi. Sur la RTBF jeudi matin, Didier Reynders a évoqué des rentrées mirobolantes. "On parle, d’après la Banque centrale suisse, d’une trentaine de milliards (d'avoirs belges cachés dans les banques suisses). Si on les taxe à plus de 30 %, on est en tout cas avec une dizaine de milliards qui pourraient venir vers la Belgique" (voir l'article de la RTBF).
Dix milliards d'euros ? Alléchant dans le contexte budgétaire actuel. Mais d'où vient cette estimation ? Le matin même, le journaliste Martin Buxant titrait en une dans le Morgen sur les 30 milliards d'épargne belge cachée en suisse, citant une source anonyme proche de la banque nationale suisse. Il évoquait aussi des rentrées potentielles de 10 milliards (ici). Le chiffre a fait jaser, jusqu'au sein du gouvernement, réuni en comité restreint le matin même. Au point que Didier Reynders a précisé dans l'après-midi ne pas le prendre pour argent comptant. "Je n'ai reçu aucune estimation des autorités suisses", a-t-il dit. Le chiffre de 10 milliards d'euros a été calculé par le Morgen sur base de données de la banque nationale suisse et "je ne prends pas ce calcul à mon compte" (ici).
Mais alors, combien de milliards ? Tout d'abord, il faut préciser que la banque nationale suisse ne dispose pas - en tout cas pas officiellement - d'une estimation de l'épargne placée dans les institutions privées, pour la bonne raison que le secret bancaire prévaut. L'estimation de 30 milliards a été faite à la louche par le bureau d'étude Helvea en 2009*. Les recettes de dix milliards sont calculées quant à elles en appliquant le taux maximal offert par la Suisse sur ces avoirs.

Dix milliards, vraiment ?

Ce calcul très théorique exagère largement les sommes qui pourraient rentrer dans les caisses de l'Etat. Tout d'abord parce que le taux de 30% ne prévaut que que dans une partie des cas. L'accord avec l'Autriche, par exemple prévoit une fourchette de 15 à 30%. Appliquée aux avoirs belges supposé, celle-ci déboucherait sur un gain théorique compris entre 3,9 et 7,8 milliards.
La somme reste coquette, mais il est très incertain que l'accord, tel qu'il est rédigé, permette effectivement de la collecter. Plusieurs raisons peuvent être mises en avant:
  • Dans une analyse détaillée de l'accord Suisse-Royaume-Uni, l'ONG Tax Justice Network a a identifié l'an dernier plusieurs de façons de le contourner, par exemple en utilisant une entité intermédiaire (trust, fondation...) ou en passant par une filiale de la banque dans un autre paradis fiscal.
  • Les contribuables des pays concernés ont tout le temps de déplacer leurs revenus avant l'entrée en vigueur de l'accord - aucun n'ayant encore été ratifié ni même, dans le cas de la Belgique, négocié. Pour atténuer cette crainte, les autorités suisses proposent de livrer la liste des pays vers lesquels les capitaux se sont échappés, sans donner aucun nom. Sans doute de très intéressantes statistiques, mais pas d'argent.
  • La mise en oeuvre de l'accord est laissée à l'appréciation des banques suisses elles-mêmes, qui sont chargées de prélever l'impôt et de le reverser, sans aucune possibilité de vérification, puisque le secret bancaire est maintenu. Or ces institutions ont fait la preuve à suffisance qu'elles étaient les complices actives de l'évasion fiscale, comme l'a montré l'affaire UBS.
  •  Le seul montant garanti dans l'accord est une avance que les autorités suisses promettent en gage de bonne volonté. L'Allemagne a obtenu 1,6 milliards d'euros, le Royaume-Uni 413 millions et l'Autriche rien. Qu'obtiendrait la petite Belgique ?

Un coût élevé

Ces réserves permettent de mettre en doute que des sommes importantes seront rapatriées effectivement. Or, sur le plan des principes, Rubik est loin d'être gratuit. Il permettrait à la Suisse de se refaire une réputation à bon compte. Si sa stratégie fonctionne, elle pourra se déclarer blanchie, tout en conservant le secret bancaire. L'accord ferait alors retomber la pression internationale, juste au moment où le changement de mentalités né de la crise financière commence à porter ses fruits. Le secret fiscal est de moins en moins accepté en Europe, où les moins aisés et les classes moyennes n'ont pas les moyens d'échapper à la rigueur, contrairement aux plus fortunés. La transparence est en passe de devenir la norme internationale, sous la forme d'un échange automatique d'informations. Conclure un accord Rubik reviendrait dès lors à donner quelques années de répit à un secret bancaire qui règne depuis déjà bien trop longtemps - avec des recettes bien trop incertaines.




* Helvea calcule ce montant sur base des montants transférés par la Suisse conformément à la directive sur la fiscalité de l'épargne. (Cette directive prévoit une retenue à la source sur les revenus des placements bancaires des Européens en Suisse. Rubik couvre en effet les autres revenus financiers, comme les gains en capital, les dividendes et autres). Sur base d'une extrapolation de ces transferts, avec une méthologie sujette à caution, Helvea calcule que les avoirs européens totaux en Suisse s'élevaient en 2007 à 863 milliards de francs suisses (714 milliards d'euros). Les avoirs belges s'élevaient quant à eux à 37 milliards de francs suisse (30 milliards d'euros), dont 32 milliards non déclarés (26 milliards d'euros).




1 commentaire:

  1. Un accord "Rubik" ne rapporterait que 198 millions d'euros, selon Afschrift

    (Belga) L'accord dit "Rubik" que le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR) souhaite négocier avec la Suisse, ne rapporterait pas à la Belgique les 10 milliards annoncés, mais à peine 198 millions d'euros selon l'estimation la plus optimiste, affirme l'avocat fiscaliste Thierry Afschrift dans De Tijd et L'Echo.
    "Après un sondage auprès des banquiers suisses, il apparaît que ce sont seulement les gros fraudeurs qui profiteraient d'un accord 'Rubik'. Ce sont les seuls qui y gagneraient", explique Thierry Afschrift. La convention 'Rubik' ne fait pas l'unanimité au sein du gouvernement fédéral. Selon cet accord, la Suisse s'engagerait à prélever à la source une sorte de "précompte libératoire" sur les revenus mobiliers des ressortissants belges. La taxe serait ensuite versée à la Belgique qui en échange, s'engagerait à ne pas entamer de poursuite pénale ou fiscale à l'égard des personnes impliquées, à savoir les contribuables belges et les banques suisses. Les libéraux francophones sont favorables à la conclusion d'un tel accord. Le PS et le cdH souhaitent pour leur part étudier la proposition. Mais le secrétaire d'Etat John Crombez (sp.a) y est totalement opposé et menace même de quitter le gouvernement si la Belgique conclut une convention de ce type avec la Suisse.

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