dimanche 29 janvier 2012

La Grèce, bientôt une province allemande ?

L'Allemagne veut-elle annexer la Grèce ? Loin de moi l'intention d'atteindre le point Godwin et de rappeler des événements de triste mémoire, mais c'est ce que laissent penser les dernières propositions venant de Berlin, rapportées ce samedi par le Financial Times (ici).
Selon un document publié par le quotidien financier, l'Allemagne ne semble plus se contenter d'un considérable durcissement des règles budgétaires européennes (voir mon post précédent), mais veut littéralement prendre le contrôle total des finances publiques grecques.
Selon la proposition, qui répond aux dernières informations selon lesquelles la Grèce n'atteindra pas ses objectifs de désendettement, "la Grèce doit s'engager légalement à sonner la priorité absolue au service de sa dette. Cet engagement doit être validé légalement par le parlement. Les revenus de l'Etat doivent être utilisés en première priorité pour le service de la dette, seul le solde pouvant être utilisé pour financer les dépenses primaires".
En outre, "la Grèce doit accepter de transférer la souveraineté budgétaire au niveau européen pour une certaine période. Un commissaire au budget doit être désigné par l'Eurogroupe avec la mission d'assurer le contrôle budgétaire".
Face à la crise de la dette, l'Europe marche depuis longtemps sur une ligne dangereuse, à la frontière de la démocratie. Avec cette dernière proposition - dont on ne peut pas imaginer qu'elle sera acceptée - elle basculerait entièrement de l'autre côté.

vendredi 27 janvier 2012

Tout sur le nouveau tour de vis budgétaire européen

Au hasard d'un échange de mails, le toujours pertinent Paul Jorion m'a fait l'honneur de publier hier un large extrait d'un de mes billets sur son blog. Le post est accessible ici.
Ci-dessous, la version complète de ce texte.

Tout le monde le reconnaît: les décisions européennes ont un impact toujours plus important sur l'économie, les lois, la vie quotidienne. La tendance est devenue évidente avec la crise de l'euro, qui amène les Etats à mettre en commun d'importantes compétences souveraines. Les citoyens et même leurs représentants élus continuent pourtant à ne s'intéresser que de loin, ou plutôt trop tard, à la politique européenne.
Dans les parlements des pays membres, beaucoup de députés ne se sont pas encore remis des prérogatives qu'ils ont perdues avec l'entrée en vigueur d'un "semestre européen" et d'une législation dite "six-pack": obligation pour chaque pays de présenter son budget à la Commission européenne dans un calendrier serré et sanctions à gogo pour les déficits, dettes et même déséquilibres jugés excessifs.
Mais, alors que l'encre de ces accords n'est pas encore sèche, beaucoup ne voient pas qu'un un nouveau durcissement des règles est, déjà, sur le point d'être adopté.
  • Un traité de discipline budgétaire, négocié au pas de charge sous pression de l'Allemagne, sera discuté au sommet européen de ce lundi 30 janvier.
  • Un second traité instituant un Mécanisme européen de stabilité, sorte de fonds monétaire européen vient d'être finalisé (mais il doit encore être ratifié) 
  • De nouvelles propositions (déjà rebaptisées "two-pack" en jargon eurobruxellois) visent à accentuer encore la surveillance des comptes nationaux par la Commission
Plutôt que de critiquer le nouveau cadre une fois qu'il sera adopté, comme il est de coutume dans les affaires européennes, les élus et citoyens, seraient bien inspirés de peser sur la négociation alors qu'elle est encore en cours. A cet égard, l'exemple de l'Allemagne devrait inspirer les autres pays. A Berlin, la chancelière débat des enjeux européens au Bundestag avant les sommets. Elle se rend donc à Bruxelles forte d'un mandat clair de son parlement.
En guise de contribution à ce débat, je voudrais, dans ce billet, donner quelques éclaircissements sur le nouveau tour de vis en préparation.
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire - plus souvent appelé traité de discipline budgétaire (dernière version du texe ici) - est celui qui risque de faire couler le plus d'encre. Le texte a été négocié au cours des dernières semaines par des experts des Etats membres (à l'exception des Britanniques, qui ont refusé d'y participer). Son objectif ? Graver dans le marbre d'un traité l'obligation d'avoir un budget équilibré (une obligation qui existe pourtant déjà dans de nombreux autres textes européens). Sa vraie raison d'être ? Offrir à la chancelière allemande Angela Merkel un trophée en échange des milliards déboursés pour aider la Grèce et les autres. L'électoral allemand est en effet très majoritairement réticent à la solidarité avec des pays vus comme des cigales. Le problème ? Le reste de l'Europe est opposé à cette rigueur toute luthérienne mais n'ose pas s'opposer à celle qui se pose désormais, après des mois de tergiversations dans la crise de l'euro, en véritable dame de fer continentale.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, voici un bref résumé des principaux articles du traité, dont la dernière version est accessible ici. Les Etats signataires s'engagent à intégrer dans leur législation interne, "de préférence au niveau constitutionnel" des règles "contraignantes et permanentes" interdisant les déficits structurels supérieurs à 0,5% du PIB (article 3). La Commission européenne ou un autre Etat membre peuvent traîner devant la Cour de Justice un pays qui ne se serait pas acquitté de son obligation (article 8, qui ne manquera pas de créer une bonne ambiance entre pays).
L'article 7 est particulièrement aberrant: les pays signataires s'engagent à approuver toute proposition de la Commission quand celle-ci engagera une procédure en déficit excessif. Autrement dit, les Etats s'engagent à abandonner leur jugement politique au profit d'une application automatique de sanctions contre un pays “déviant”.
Comme tous les traités, celui-ci devra être ratifié. Les négociateurs semblent avoir anticipé son impopularité, puisqu'ils ont prévu qu'il entrerait en application dès que 12 pays l'auront ratifié. Pas question, donc, que l'Irlande puisse entraver le processus en organisant un référendum.
Le Traité instituant un Mécanisme européen de stabilité (MES) (dernière version du texte ici) sera moins controversé. Il crée une version permanente de la facilité FESF, qui a prêté des centaines de milliards au Portugal et à l'Irlande en échange de programmes d'assainissement drastiques. Pour bien faire comprendre aux "cigales" qu'il ne s'agissait plus de chanter tout l'été, l'Allemagne a fait inscrire que le MES ne serait accessible qu'aux pays ayant ratifié le traité de discipline dont j’ai fait état un peu plus haut.
Le MES, qui incarne la (toute relative) solidarité entre les Européens, compte néanmoins quelques opposants. En Allemagne, une campagne a été lancée contre certaines dispositions, curieuses il est vrai, de ce texte. La protection du staff contre les poursuites judiciaires et son financement jugé peu démocratique sont critiqués. En Belgique, la campagne est relayée par le Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), notamment avec cette vidéo.


Enfin, plus discrètement, mais tout aussi efficacement, deux règlements renforceront le contrôle de la Commission sur les comptes nationaux. En particulier, le règlement relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière au sein de la zone euro (texte ici) permet à la Commission de placer, sans aucune autre forme de contrôle démocratique, un Etat sous surveillance renforcée. Ce pays est tenu d'adopter "des mesures visant à remédier aux causes ou aux causes potentielles de ses difficultés" (article 3).
La volonté de laisser des finances assainies aux générations futures est louable. On ne peut que partager la volonté des dirigeants européens d'éviter une répétition de la crise actuelle. Mais l'arsenal législatif qui est mis en place ne va-t-il pas trop loin ? Il pose en tout cas de nombreuses questions essentielles, aussi bien démocratiques qu'économiques. Adopter ces réformes au pas de charge, sans débat démocratique, n'est pas la voie à suivre, n'en déplaise à Angela Merkel.

jeudi 19 janvier 2012

Rubik: les très timides efforts européens pour récupérer l'argent évadé en Suisse

Avec des finances publiques qui ont viré au rouge écarlate, les pays occidentaux n'ont plus vraiment le choix: ils doivent aller chercher l'argent là où il se trouve. Aux yeux des gouvernements européens, cela signifie sur le compte en banque des classes moyennes, pressées de nouveaux impôts, voire sur celui des plus pauvres, dont on réduit les allocations. Les comptes des plus riches dans les banques suisses semblent moins concernés par cet effort. Dans cet article, on essaiera de comprendre pourquoi l'assaut européen lancé à partir de 2009 contre l'évasion fiscale vers la Suisse ressemble de plus en plus à un coup dans l'eau, alors que la stratégie beaucoup plus ferme des Américains semble par contre porter ses fruits.
Pour bien comprendre, il faut se replacer dans le contexte de la première crise financière, fin 2008. Après avoir dépensé massivement pour sauver les banques, les gouvernements européens initient une offensive médiatique contre les paradis fiscaux, à coups de grandes déclarations. Le ministre allemand des Finances, Peer Steinbruck,  compare les Suisses aux "Indiens fuyant la cavalerie", suscitant l'indignation chez ses voisins alpins. Quelques mois plus tard, à l'issue d'un sommet du G20, plusieurs dirigeants mondiaux clament que l'ère du secret bancaire est révolue.
Avec le recul, force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Un effort piloté par l'OCDE pour pousser les pays à s'échanger entre eux des informations sur les avoirs de leurs citoyens n'a pas fondamentalement changé la donne. Au niveau de l'UE, une tentative visant à boucher les trous béants d'une directive sur la fiscalité de l'épargne est bloquée depuis des mois (voir ici).
Ce qui ressemble le plus à un résultat concret est la conclusion d'accords bilatéraux dits "Rubik" entre la Suisse d'une part et certains pays européens de l'autre (pour l'instant, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont signé). Cibler la Suisse n'est pas inopportun: même si les individus désireux de soustraire leur épargne aux yeux du fisc ont le choix entre de nombreuses îles exotiques, la confédération reste une destination de choix.
Par nature, le montant des capitaux dissimulés est difficile à évaluer, mais voici une estimation publiée par le site suisse sérieux Swiss Info, basée sur des chiffres de la société de conseil Helvea. Les capitaux provenant de l'Allemagne voisine se chiffreraient à 130 milliards d'euros, soit à la très grosse louche environ 4% du PIB.  Les 22 milliards issus de Belgique correspondent à plus de 5% du PIB.



Comment fiscaliser le rendement de ces revenus, dont seule une petite partie est déclarée, est donc un enjeu de choix, tant sur le plan de l'équité que sur celui de la taille des montants.
Or, les accords Rubik ne permettront de capter qu'une petite fraction des revenus placés en Suisse. Ils risquent en outre de réduire à néant la stratégie visant à construire un réseau d'échange automatique d'informations, seul à même de juguler efficacement l'évasion fiscale.
En fait, la stratégie Rubik a été échafaudée par les banques suisses elles-mêmes (comme elles l'expliquent sur leur site web), avant d'être relayée par le gouvernement helvète, qui a entamé des négociations avec plusieurs partenaires européens. Elle vise explicitement à préserver l'attrait de la place bancaire suisse pour les capitaux évadés, qui seraient légalisés, et même aussi à renforcer ses parts de marché en Europe. En contrepartie, les pays signataires espèrent récupérer une partie des montants dûs. Quelle partie, c'est là toute la question. Importante selon les promoteurs de Rubik. Quasi nulle selon les détracteurs.
Entrons dans le détail des textes pour bien mesurer l'enjeu. Les accords prévoient une régularisation des avoirs non-déclarés en Suisse. Un impôt forfaitaire unique sur le capital permet de régulariser le passé, tandis que les rendements futurs sont soumis à un prélèvement de 19% à 34%.En signe de bonne volonté, les banques suisses s'engagent à verser un acompte substantiel sur les montants à collecter: c'est ainsi que l'Allemagne pourra compter sur deux milliards de francs suisses (1,6 milliards d'euros), et le Royaume-Uni sur 500 millions (414 millions d'euros).
Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'en échange d'un bel acompte et de la promesse de retours à l'avenir, les pays signataires offrent aux fraudeurs la possibilité de régulariser leurs capitaux, et à la confédération helvète celle de se refaire une virginité, tout en conservant son secret bancaire. La présidente de la confédération, Eveline Widmer-Schlumpf, peut désormais prétendre "laisser à ses enfants une place financière propre" (voir ici).
Les pays signataires s'engagent en outre à renoncer à poursuivre les employés des banques suisses pour complicité d'évasion fiscale. Ils promettent aussi de ne plus utiliser à l'avenir des données volées, comme ce fut le cas en 2008 avec l'acquisition (au prix fort) par les autorités allemandes d'un cd-rom subtilisé par un ancien employé d'une banque du Liechtenstein (voir ici).
Il y a beaucoup de raisons de ne pas offrir un tel cadeau à la Suisse et à ceux qui y cachent leur argent. Sur le plan politique et - osons le mot - moral, signer l'accord revient à octroyer une amnistie fiscale permanente aux individus fortunés ne souhaitant pas participer à la solidarité.
Ceux qui ne sont pas convaincus par l'argument politico-moral devraient pour le moins se pencher sur celui de l'efficacité économique. Car là aussi, le bât blesse. D'une part, les taux envisagés sont inférieurs (19 à 34%) à celui en vigueur dans la directive européenne sur la fiscalité de l'épargne (35%). De l'autre, l'accord s'apparente à un véritable gruyère. Il pouvait difficilement être autrement d'un texte proposé par des banques qui bénéficient largement de l'évasion fiscale. L'ONG Tax Justice Network a publié récemment une analyse fouillée identifiant toutes les portes de sortie qui permettront aux capitaux de continuer d'échapper à l'impôt, notamment au travers de sociétés-écrans ou de contrats d'assurance.
Et fondamentalement, Rubik protège le secret fiscal. Il sera impossible pour le fisc des pays signataires de contrôler l'application correcte de l'accord, puisqu'il reviendra aux banques suisses elles-mêmes de prélever la retenue, sous le contrôle des seules autorités helvètes, elles-mêmes très attachées au secret bancaire. Autant demander à un criminel combien d'années de prison il veut purger.
Pour ces raisons, l'Union européenne et ses Etats membres doivent refuser de signer les accords Rubik. La Commission européenne a laissé entrevoir une approche ferme en poussant l'Allemagne et le Royaume-Uni à renégocier leurs accords. Mais elle ne s'inquiète que de leur conformité avec le droit communautaire. Elle n'exclut pas, parmi une série d'options, de négocier un accord Rubik global pour toute l'UE. Quant aux autres Etats membres, ils sont divisés. La France a exclu d'entrer dans ces négociations. D'autres, comme la Belgique, se tâtent. Le secteur belge de la gestion du patrimoine y est favorable. Dans un éditorial publié la semaine dernière dans l'Echo, François Mathieu, rédacteur en chef de Mon argent, a appelé à "profiter des atouts de la Suisse".
Cette approche, pour le moins timide, n'est pas la seule manière de procéder, comme l'argumentent les résignés face aux paradis fiscaux. L'Europe ferait bien de s'inspirer de l'exemple des Etats-Unis, qui mènent une lutte sans répit contre l'évasion fiscale de leurs ressortissants en Suisse. L'affaire UBS (voir ici) n'en est qu'un exemple. Principal partenaire commercial de la Suisse, l'Europe a les moyens d'augmenter considérablement la pression sur le secret bancaire. Au vu des sacrifices demandés aux classes moyennes et aux citoyens les plus pauvres, c'est bien la moindre des choses.

mercredi 11 janvier 2012

Taxe sur les transactions financières: quelques rappels utiles

Il n'échappe à personne que Nicolas Sarkozy est un improbable candidat au titre de héraut de la taxe sur les transactions financières. Il y a une dizaine d'année, il la considérait encore comme une "absurdité", comme en témoigne cette vidéo sortie des archives par Attac.


Qu'à cela ne tienne, le président français la défend désormais bec et ongles, dans les instances internationales et, surtout, devant les caméras de télévision. Après avoir tenté en vain de la faire approuver par les pays du G20, il se propose de la faire adopter rien qu'en France. "Ma conviction, c'est que si nous ne montrons pas l'exemple, ça ne se fera pas", lance-t-il désormais, apparemment sans plus s'inquiéter des risques de déplacement des activités financiaires qu'il évoquait en 1999.
Ces risques ont-ils disparu entre-temps ? Probablement pas. Ce qui a changé, bien sûr, c'est que la crise financière est passée par là, plongeant les finances publiques dans le rouge et ternissant la réputation des banquiers. Il n'est dès lors plus rare de voir des politciens de droite, autrefois ennemis de la taxe Tobin, embrasser celle qu'on connait désormais sous l'acronyme de TTF. Le libéral belge Didier Reynders en est un autre exemple: après avoir combattu l'adoption d'une taxe Tobin dans son propre pays, il s'est en fait, une petite décennie plus tard, le défenseur sur la scène internationale.
Loin de moi l'idée de critiquer les dirigeants qui sont prêts, désormais, à taxer les transactions financières dans la seule zone euro, ou dans leur seul pays. Face à l'opposition farouche des Etats-Unis, des pays d'Asie et du Royaume-Uni, l'adoption d'une taxe mondiale et même d'une taxe limitée à l'Union européenne semble en effet impossible à court-terme.
Pour autant, la question des effets concrets d'une TTF dans une seule région ou un seul pays n'a pas disparu. Je voudrais tenter des les évoquer dans ce post, au delà des inexactitudes parfois véhiculées dans le débat public et de la communication électoraliste.
Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que plusieurs pays européens ont déjà mis en oeuvre des formes limitées de taxation des transactions financières. La Belgique, Chypre, la Finlande, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, la Roumanie, la Pologne et le Royame-Uni s'en sont déjà dotées. Piquant: la France avait elle aussi une taxe de bourse depuis la fin du 19e siècle, mais elle a été abrogée en 2008 par la majorité de Nicolas Sarkozy (voir cet article de Slate). Lors du dernier exercice, elle a rapporté environ 250 millions d'euros au Trésor.
On note aussi la présence curieuse, dans la liste des pays où les transactions financières sont déjà taxées, du Royaume-Uni, farouche opposant de la version européenne de cette taxe. Il existe dans le pays un stamp duty, s'appliquant aux ventes d'actions et d'autres titres, qui a rapporté plus de quatre milliards d'euros lors de l'exercice 2008/2009 (la différence avec la France s'explique notamment par la taille de la place financière de Londres).
En Belgique également, il existe une taxe sur les opérations de bourse (TOB), qui s'applique aux ventes d'actions, d'obligations et de certains produits dérivés conclues en Belgique par un intermédiaire belge (les brokers étrangers ne sont donc pas concernés, pas plus que les transactions conclues par les banques pour leur compte propre, ni les fonds de pension). La TOB a rapporté 140 millions d'euros en 2011. Le gouvernement, qui vient d'en relever le taux, table sur une augmentation de 36% des recettes en 2012, mais la Cour des comptes juge surestimée cette hausse attendue (voir ce rapport).
Dans ce contexte général, la proposition de TTF européenne s'apparente davantage à une harmonisation qu'à une nouveauté complète. Les Etats seraient tenus d'aligner l'assiette de leurs taxes nationales sur celle définie au niveau européen (très large dans la proposition de la Commission, qui inclut actions, obligations et produits dérivés), et d'appliquer le taux minimum (la Commission propose 0,1% pour les actions et 0,01% pour les produits dérivés).
Les arguments plaidant en faveur d'une taxe financière sont bien connus - et écrasants. Pour rappel, et pour ne citer que ceux-là:
  1. elle permettrait de récupérer auprès du secteur financier une fraction de l'argent que les pouvoirs publics ont investi pour le sauver - la bagatelle de 4,6 billions d'euros (oui, 4.600.000.000.000 euros). En fonction de différents paramètres et hypothèses, la Commission européenne estime les recettes potentielles entre 16,4 et 433,9 milliards d'euros par an pour toute l'UE. Plusieurs pistes sont évoquées pour l'affectation de la recette (le budget des Etats ou de l'UE, la lutte contre le réchauffement, la coopération au développement...)
  2. elle constituerait aussi une compensation pour l'exonération de TVA dont le secteur financier bénéficie, un cadeau fiscal méconnu, estimé à 0,15% du PIB.  
  3. elle pénaliserait le trading à haute fréquence hautement spéculatif, qui représente aujourd'hui une moitié des échanges, et dont le seul ressort est l'appat du gain.


L'argument principal des détracteurs de la taxe porte sur le risque de déplacement des activités financières hors d'Europe. A l'heure d'internet, il est en effet facile d'imaginer que les opérations seront relocalisées sur des marchés non taxés. L'exemple de la Suède, qui a dû abroger à la va-vite sa propre taxe dans les années 1990, est souvent cité.
Mais ce contre-argument doit être nuancé. Telle que proposée, la taxe s'imposera au lieu d'établissement de l'opérateur financier. Donc, à moins de se délocaliser physiquement ou de passer par un paradis fiscal, il ne sera pas si facile pour les banques et autres fonds d'investissement d'éviter la TTF.
Celle-ci sera en outre d'autant plus efficace que son champ d'application géographique sera large. Une taxe mondiale semble exclue à l'heure actuelle, de même qu'une taxe dans l'Union européenne tant que les conservateurs seront au pouvoir au Royaume-Uni. A défaut, une taxe limitée à la zone euro semble un objectif réaliste. Ceux qui croient à cette option, et qui y voient une première étape, sont de plus en plus nombreux.


LIENS UTILES
Le résumé de l'étude d'impact de la Commission européenne
Un document de la Commission exposant les différentes taxes financières existant à travers le monde