mercredi 23 mai 2012

La taxe sur les transactions financières plébiscitée au Parlement européen

Comme d'autres votes récents du Parlement européen dont je vous ai parlé sur ce blog (voir ici), celui par lequel les eurodéputés viennent de plébisciter la taxe sur les transactions financières (TTF) n'a qu'une valeur symbolique. Dans les matières fiscales, ils n'ont en effet qu'une compétence d'avis. Mais le vote a le mérite de maintenir à l'agenda un dossier que certains voudraient voir disparaître de la table purement et simplement. En précisant les contours de la taxe, le Parlement contribue aussi à accréditer l'idée qu'elle n'est plus cette utopie revendiquée par une poignée d'altermondialistes naïfs, mais un projet réaliste.
Par 487 voix contre 152, les parlementaires ont appuyé les grandes lignes de la proposition présentée par la Commission: un prélèvement de 0,1% pour les ventes d'actions et d'obligations, et 0,01 % pour les opérations dérivées.
Ils en ont même élargi le champ d'application, en prévoyant un "principe du lieu d'émission", selon lequel les institutions financières situées en dehors de l'UE seraient également obligées de payer la taxe si elles ont négocié des titres émis à l'origine dans l'UE.
Par exemple, des titres Siemens, émis à l'origine en Allemagne et négociés entre une institution à Hong Kong et une entité aux États-Unis, seraient soumis à la taxe.
Dans la proposition d'origine, de telles transactions échappent à la taxe car seules des institutions financières dont le siège se trouve dans l'Union sont redevables. Ce "principe de résidence" reste néanmoins d'actualité pour le Parlement européen, qui appelle à combiner les deux approches.
Le principe de résidence est en effet l'une des clés du succès de la proposition. Il est le principal argument mis en avant pour faire valoir que la taxe ne nuira pas à la compétitivité des grands centres financiers européens, puisque le lieu d'échange des titres n'aura aucune importance. Il n'y aurait donc pas d'intérêt fiscal à aller échanger les titres à Wall Street plutôt qu'à Londres ou Francfort.
Plus de détails sur le vote du Parlement ici. Voir aussi ces quelques rappels utiles que j'ai publiés en janvier.

mardi 15 mai 2012

Les manoeuvres dilatoires du Luxembourg et de l'Autriche, ces paradis fiscaux européens

C'est un Ecofin comme les autres qui se tient ce mardi 15 mai 2012 à Bruxelles. Comme tous les mois, les ministres européens des Finances se réunissent autour d'un agenda politique chargé. Aujourd'hui, les nouvelles règles de capitalisation des banques (Bâle III), ainsi qu'une possible sortie grecque de l'euro agitent le landerneau - enjeux importants s'il en est. Un autre dossier, emblématique pourtant, est rapidement balayé de la table. Il a suffi d'un "nein" autrichien et luxembourgeois, à peine assorti de quelques mots d'explications.
C'était la première fois, depuis janvier, que la présidence danoise essayait d'obtenir un accord sur l'ouverture de négociations avec la Suisse sur un vaste accord anti-fraude fiscale. Mais c'est "nein". On n'en reparlera plus jusqu'à nouvel ordre.
Un petit retour en arrière et une mise en contexte s'imposent pour bien comprendre ce qui se joue. Depuis des générations, les Européens les plus fortunés disposent une large gamme d'options pour faire fructifier leurs revenus à l'étranger à l'abri des indiscrets contrôleurs fiscaux - et réduire ainsi leur contribution à la solidarité nationale. La Suisse, Monaco ou le Liechtenstein sont des paradis fiscaux bien connus. A l'intérieur même de l'Union européenne, des solutions attrayantes sont disponibles, en passant par exemple par un trust localisé dans un île anglo-normande (Jersey...) ou par une fondation autrichienne. Les solutions ne manquent pas.
Dans les années 1990, les dirigeants européens ont entrepris de refermer certaines portes béantes dans lesquelles s'engouffraient les fraudeurs. Après des années de négociations complexes entre les Etats membres, leurs territoires associés (Jersey, Ile de Man,...) et cinq pays tiers (Suisse, Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint-Marin), l'Europe s'est ainsi dotée d'une "directive sur la fiscalité de l'épargne" qui permet aujourd'hui, très imparfaitement, de collecter les revenus dûs à l'étranger. L'an dernier, la Suisse a ainsi reversé environ 330 millions d'euros aux pays européens. Le montant n'est pas négligeable, mais il ne représente qu'une fraction des revenus de l'épargne réellement placée dans le pays. En fait, la Suisse, comme les autres paradis fiscaux concernés, ont travaillé activement à mettre au point de stratégies pour contourner la directive. C'est le principe même l'ingéniérie fiscale: toujours conserver une longueur d'avance sur le législateur. Et pour conserver cette avance, la meilleure manière reste encore de ralentir, par tous les moyens possibles, les progrès de nouvelles réglementations. C'est exactement ce qui s'est produit ce mardi avec le blocage austro-luxembourgeois.
Les discussions portent en réalité sur une proposition de la Commission européenne, déposée en 2008 mais retardée par moultes manoeuvres, de réviser la directive. Appuyée par la majorité des Etats membres, la Commission espère que certaines nouvelles clauses permettront d'identifier les vrais bénéficiaires de revenus de l'épargne et donc de les taxer, même s'ils se cachent derrière un trust, une anstalt ou autre fiducie secrète. Mais après quatre ans, les négociations n'ont même pas encore vraiment démarré. Derrière des arguments peu convaincants, l'Autriche et le Luxembourg refusent d'octroyer un mandat à la Commission pour négocier avec les cinq pays tiers. Or, ces deux Etats membres conditionnent, dans le même temps, tout progrès intra-européen à une concurrence équitable avec lesdits pays tiers. Autant dire qu'aucune avancée n'est possible dans ces conditions. Et que l'évasion fiscale a encore de beaux jours devant elle.
Le commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta, n'a pas mâché ses mots pour condamner le blocage. "Scandaleusement injuste", a-t-il lâché, d'autant plus que "ce sont les contribuables honnêtes qui paient le prix de l'austérité" (verbatim ici).
A l'heure où tous les médias européens voient dans l'élection de François Hollande une rupture avec des années d'austérité, il serait bon de s'interroger sur le contenu des politiques à mener, derrière le slogan. L'initiative de croissance qui sera vendue au sommet européen de la semaine prochaine n'est qu'un ensemble de mesures réchauffées. Au lieu de ressasser le mantra de la croissance économique, les dirigeants de l'UE seraient bien inspirés de parler justice financière. Et à défaut de justice, ils pourraient au moins faire valoir cet argument macro-économique: l'OCDE a évalué à 5% du PIB la taille de l'évasion fiscale en Grèce. Largement de quoi combler son déficit et remédier à la plus profonde crise qu'ait connu l'euro sans recourir à un énième plan de sauvetage aux conditions draconiennes.

Billet également publié sur le blog de Paul Jorion (ici).

mardi 8 mai 2012

Justice fiscale: quand Hollande se faisait allumer par Piketty

Ce dimanche soir, François Hollande, fraîchement élu à la présidence de la République, a demandé d'être jugé sur deux grands axes de son programme: la justice et la jeunesse. La justice est bien sûr à comprendre au sens large: pas seulement le système judiciaire, mais bien la répartition équitable des chances et des revenus. Une confrontation avec l'économiste Thomas Piketty, filmée par MediaPart en janvier 2011 (voir plus bas), donne un éclairage intéressant sur cette question.
Celui qui n'était alors qu'un des candidats du parti socialiste revient largement sur le thème de la justice fiscale. "La cohésion d'un pays est révélée par son système fiscal", souligne-t-il. "Je pense même que la réforme fiscale est la condition de la réforme d'ensemble de la société. La première des réformes doit être la réforme fiscale".
Et précisément, François Hollande détaille, dans cet entretien parfois technique, comment il compte réformer la fiscalité en France, notamment
- en simplifiant le système pour le rendre plus acceptable et compréhensible pour les citoyens et
- en élargissant la progressivité de l'impôt aux revenus du capital (aujourd'hui seul l'impôt sur le revenu du travail est progressif).
En cela, ses propositions ne sont pas très éloignées de celles défendues par Thomas Piketty, un chercheur en sciences économiques qui s'est imposé ces dernières années comme LE spécialiste des inégalités et de la redistribution. L'an dernier, il a appelé à une "révolution fiscale", dans un essai publié conjointement avec Camille Landais et Emmanuel Saez. Ces trois économistes proposent un nouvel impôt sur le revenu, simplifié, avec moins moins d'exemptions et doté d'une progressivité beaucoup plus marquée. Sur un site dédié assez bien fait, ils proposent à chacun de constater, chiffres à l'appui, que les revenus les plus faibles seraient moins taxés, même jusqu'à un niveau assez avancé dans les classes moyennes.
Là où l'entretien entre l'économiste et le candidat devient piquant, c'est quand le premier égratigne le second sur le manque de crédibilité de son projet. Depuis un siècle, selon lui, les socialistes proposent en campagne électorale de grandes réformes fiscales qui n'aboutissent à rien.
Amusant aussi de voir comment il accuse Hollande d'être rétrograde en favorisant fiscalement les couples mariés, et quand il épingle ses erreurs sur l'impôt sur la fortune.
La conversation permet aussi, avec le recul, de constater - déjà - cette incohérence chez François Hollande. En janvier 2011, il s'opposait aux taux marginaux confiscatoires sur les très hauts revenus. Ceux-ci "n'auront aucun effet et ne produiront aucune recette", disait-il alors. "Des taux qui évitent l'imposition ne sont pas efficaces". Quelques mois plus tard, en pleine campagne, le même François Hollande proposait pourtant un taux marginal de 75% sur les revenus supérieurs à un millions d'euros. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis, fera-t-il sans doute valoir. Entre-temps, aussi, Thomas Piketty aura rejoint un groupe d'économistes signataires d'une tribune dépeignant Hollande comme 'le candidat le plus apte à redresser la France et à rassembler les Français".
Mais jugez sur pièce, en regardant la confrontation de janvier 2011 (environ 50 minutes en tout).