mardi 8 juillet 2014

Transparence fiscale des entreprises: quand PwC mange à tous les râteliers

Connaissez-vous le CBCR ? Derrière cet acronyme se cache un nouvel outil public qui doit assurer la transparence fiscale des multinationales. La chose n'est pas anodine: si aujourd'hui on sait que beaucoup de grandes entreprises parviennent à réduire leur impôt sur le bénéfice globalement sous les 10%, on ne dispose que d'informations très incomplètes sur les montants versés à chaque pays. On peut comprendre le souhait de confidentialité pour les contribuables particuliers, mais dans le cas d'entreprises qui jouent un rôle considérable dans nos vies de travailleurs/consommateurs mondialisés, ce secret n'est franchement plus justifiable.
C'est tout l'intérêt du CBCR, le country-by-country reporting. Cette nouvelle norme obligera bientôt les entreprises à dévoiler, dans chaque pays d'activité, les impôts payés et les subventions reçues. Proposé en 2003 par le comptable britannique Richard Murphy, proche du mouvement de justice fiscale, le CBCR a parcouru depuis une longue route semée d'embûches. Aujourd'hui, il est en passe de devenir un standard reconnu internationalement. Pour le plus grand plaisir de son instigateur (ici).
L'Europe et les Etats-Unis l'ont déjà imposé dans le secteur des industries extractives. Puisque celles-ci puisent dans les ressources naturelles des pays, notamment dans les pays du sud, il a été jugé opportun que soit connu le juste prix payé en retour sous forme d'impôt. A partir de 2016 ou 2017, les entreprises minières et forestières commenceront donc à publier des rapports CBC.
Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? La transparence pourrait aussi être imposée à toutes les entreprises multinationales. Les chefs d'Etat et de gouvernement européens l'ont d'ailleurs proclamé en mai 2013, après un sommet consacré à l'évasion et l'optimisation fiscale. Malheureusement, comme je l'ai rapporté sur ce blog, cet objectif a été renvoyé aux calendes grecques.
Un autre secteur, toutefois, a été jugé propice à l'application du CBCR: le secteur bancaire. Une directive européenne récente sur les fonds propres des banques impose à celles-ci de dévoiler un certain nombres d'informations pays par pays (impôts, mais aussi chiffre d'afaire, nombre de salariés, etc.). Dans un climat public très hostile à la finance, les opposants à cette transparence ont à peine réussi à obtenir que cette nouvelle obligation fasse l'objet d'une évaluation (et d'une possible révision) par la Commission européenne.
Or, voilà que cette dernière vient de passer la patate chaude au cabinet d'audit PwC. Après un appel d'offre, le cabinet a été chargé de réaliser l'étude. Motif ? Le manque de ressources en interne pour procéder à une telle analyse. Le problème, c'est que PwC ne présente aucun - mais vraiment aucun - gage d'expertise indépendante. Le cabinet est très actif dans l'optimisation fiscale des entreprises (comme je le documente au chapitre 7 de mon livre). Sa branche belge donne dans le lobbying antifiscal en soutenant le "tax freedom day". Plus piquant: le cabinet a milité contre le CBCR dans le cadre d'une consultation de l'OCDE sur le sujet. Mandaté par 14 entreprises multinationales, PwC a plaidé pour que les informations pays par pays soient réservées aux administrations et ne fassent l'objet d'aucune communication au public (voir ici, à partir de la page 147).
Autrement dit: on demande à PwC de donner un avis indépendant sur une transparence fiscale, alors que ce même cabinet l'a déjà dénoncée au nom de ses clients. Le conflit d'intérêt ne saurait être plus évident.
Comment s'en étonner ? Depuis des années, les grands cabinets d'audit ont réussi à se placer au centre du jeu, conseillant d'un coté les gouvernements sur les mesures fiscales, de l'autre les multinationales sur les façons de les contourner.
Récemment encore, dans le cadre de sa présidence du G20, le gouvernement australien a accepté que Deloitte, KPMG et ce même PwC sponsorisent une grande conférence sur l'avenir de la fiscalité internationale, en échange de places enregistrées et de tribunes (ici). Un rôle de choix, quand on sait à quel point les multinationales que ces cabinets représentent craignent le tour de vis opéré par le G20 et l'OCDE (ici).


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